– Non, je dis non et non ! Je ne garderai pas cet âne un jour de plus !Djoha lança un regard furieux au petit âne gris qui battait l’air patiemment avec sa queue pour éloigner la multitude de mouches qui embêtait, attendant que Djoha lui mette la selle sur le dos.
– Djoha, qui te dit qu’un nouvel âne ne sera pas aussi, sinon plus têtu que celui-ci ?demanda Kalima, sa femme.
– Ecoutes Kalima, cet âne de malheur est plus que têtu ! Fulmina Djoha. Il mange comme un éléphant, mais devient chaque jour de plus en plus maigre. Il est lent comme une tortue, paresseux comme un pou, vicieux comme un renard, stupide comme un poisson et têtu comme un âne !
Kalima ne dit rien, elle caressa le petit âne qui frottait sa tête affectueusement contre sa manche, elle s’était suffisamment disputée avec son mari pour deviner quelles seraient ses réactions.
– Dis adieu à cette créature ! continua Djoha en enfourchant le petit animal.
Djoha essaya de faire avancer l’âne de la manière habituelle de conduire les ânes (un « rghr-r-r-r » guttural), d’avancer. Mais l’animal refusa de bouger.
– Regardes Kalima, un autre âne aurait déjà avancé à cet ordre. Enfin bon, tu verras quel excellent âne je ramènerai du marché. Je vais vendre ce bourricot suffisamment cher pour en acheter un autre, un meilleur et il me restera une pièce d’or pour te permettre de confectionner une nouvelle robe.
– Ughr-r-r-r, gronda t-il de nouveau.
Le petit animal agita ses longues oreilles, à contre-cœur, et s’en alla.
Jubilant en pensant à la bonne affaire qu’il allait réaliser au marché, Djoha tapota le cou de son âne et se dirigea vers la place du marché.
– Voici un animal dont son propriétaire sera content, dit Djoha en remettant l’âne au commissaire-priseur.
– Un tel animal devrait rapporter un bon prix, répondit le commissaire-priseur.
Ce dernier poussa l’âne, pinça ses pattes et regarda ses dents pendant ce temps Djoha vanta bien fort les mérites de son animal.
La vente débuta, le commissaire-priseur fit parader les animaux les uns après les autre pour la vente afin de les présenter aux potentiels acheteurs.
Vint le tour de l’âne de Djoha, aucune offre ne fut faite pour l’animal.
A la fin de la vente, Djoha remarqua un âne qu’il trouvait plus grand, plus soyeux et plus dodu que les autres, c’était l’âne qu’il lui fallait absolument !
Finalement, tous les ânes ont été vendus, sauf deux – celui que Djoha avait amené et celui qu’il avait décidé d’acheter.
Il fut soulagé de voir que le commissaire-priseur amenait d’abord son vieil âne. Il avait besoin d’avoir l’argent de sa vente avant de faire une offre pour l’âne sur lequel il avait jeté son dévolu.
– Voici un âne qui vaut la peine d’être acheté ! Dit le commissaire-priseur, en se frottant les mains. J’ai souvent observé cet âne et j’ai regretté de ne pas être son propriétaire. Voyez cette lueur dans ses yeux ! C’est un âne qui vous obéira avant que vous ne lui en ayez donné l’ordre. Regardez ces muscles ! Et ces sabots gracieux! Je parie que cet âne est plus rapide que n’importe quel âne d’Ak Shehir !
Djoha regarda alors les pattes de son âne. Il n’avait jamais remarqué qu’elles étaient graciaux ni combien son poil était brillant et si soyeux.
– Combien offrez-vous pour le plus beau, le plus fort, le plus sage, le plus travailleur, le plus obéissant des ânes de tout Ak Shehir ?
– Trente livres, offrit un villageois.
Djeha-Hodja Nasreddin le regarda fixement.
– Trente livres pour le meilleur âne d’Ak Shehir !
– Cinquante, surenchérit Djoha.
– Soixante livres, proposa un autre villageois
– soixante-dix ! Quatre-vingt ! Quatre-vingt dix !
Le prix est monté, jusqu’à ce qu’un villageois offre deux cents livres.
– Deux cent dix, proposa un autre.
– Deux cent vingt, cria Djeha-Hodja Nasreddin.
Aucune autre offre n’ayant été faite, le commissaire-priseur remit la bride à Djoha, qui paya ainsi cash pour son propre âne.
– Ughr-r-r-r, ordonna t-il à l’âne qui s’est mis à trotter vers la maison. Comme Kalima sera fière de cette acquisition ! pensa Djoha .
A mi-chemin de la maison, il commença à se demander pourquoi sa bourse était vide. Il avait projeté, en bon négociateur qu’il était de ramener à la maison un meilleur âne et plus d’argent qu’il n’en avait emporté.
Comme c’était embarrassant. Peut-être Kalima pourra t-elle le lui expliquer ?